Convergence IAS 14/SFAS 131: avantages et renoncements |
L'IAS Board a récemment déclaré son intention de faire significativement converger la norme IAS 14 vers la norme SFAS 131. Jean-Luc Siruguet *Responsable des missions IAS et Bâle II Finabanque Rodolphe Belli *Chef adjoint du service Comptabilité et Budgétisation, Responsable du projet IFRS/IAS Banque et Caisse d'Épargne de l'État Luxembourg Vincent Dubois *Contrôlleur de gestion Banque et Caisse d'Épargne de l'État Luxembourg Convergence IAS 14/SFAS 131:avantages et renoncementsL'IAS Board a récemment déclaré son intention de faire significativement converger la norme IAS 14 vers la norme SFAS 131.Une des raisons principales de la déclaration de l'IAS Board réside dans l'avantage que procure le principe de primauté de la management view sur l'approche plus normative retenue précédemment. Il s'agit ici en clair d'aligner le reporting financier externe sur le reporting interne, et non plus d'imposer une convergence des reportings interne et externe sur des principes qui seraient valables pour toutes les entreprises. Cette évolution touche, en premier lieu, la définition des segments d'activité, mais également leurs principes d'évaluation ainsi que les éléments à publier sur ces segments. Parmi les éléments de motivation retenus par le Board, on trouve le fait que la norme SFAS 131 donne aux analystes la vision du management et non un reporting élaboré spécifiquement pour l'extérieur : le principe de transparence trouve ici toute son importance. Par ailleurs, la norme américaine réduit le coût d'obtention de l'information, ce qui est conforme à l'esprit des IAS, le coût de l'information devant être inférieur à l'avantage qu'elle procure... NORME IAS 14: DES APPORTS MULTIPLES ET STRUCTURELSAlors que l'opérabilité oriente le reporting interne vers une segmentation selon la structure opérationnelle telle qu'elle préexiste, la notion de profil rentabilité/risque (R/R) cohérent engendre une question fondamentale sur la qualité de l'organisation et du pilotage : quel est le facteur qui génère des différences de R/R dans l'activité de l'entreprise ? L'organisation est-elle adaptée pour y répondre? Cette préoccupation correspond de fait à une problématique de management stratégique, voire de corporate gouvernance qui est au coeur de la mission de la direction. Dans le cas d'une banque universelle, l'analyse conduit à retenir qu'une segmentation basée sur le type de client répond très bien au critère de R/R. Dans ce cas précis, la vision du reporting s'oriente par marché et donc fournit un instrument de pilotage stratégique ex-post adapté : un marché, une stratégie, un risque et une rentabilité... Cette correspondance n'est nullement le fruit du hasard, tant l'objectif stratégique d'optimisation du profit (ajustée par le risque) de la banque nécessite le découpage de l'activité entre métiers aux profils R/R cohérents. Certains analystes financiers plébisciteront cette approche, le prix d'un actif étant on ne peut plus dépendant du couple R/R qu'il renferme. L'argumentation qui consisterait à retenir que le prix d'une action bénéficie entre autres de la transparence du management qui ressort de la publication de son reporting interne avec la segmentation qu'il a lui même choisie paraît trouver à ce titre une limite : cette approche est valable à condition que l'organisation interne soit optimale... MOUVEMENT DE DÉCONSOLIDATIONObservons par ailleurs que dans l'industrie bancaire européenne, un mouvement de réelle déconsolidation est en train de s'opérer avec la mise en commun et/ou l'outsourcing d'activités aux profils R/R liés à l'effet de taille (industrialisation de back-offices Crédits, Titres, ou Paiements, développement de banques monoactivité, etc.). LES PRATIQUES DE RÉGULATIONRemarquons par ailleurs que l'approche "profils R/R cohérents" est tout à fait imbriquée avec les pratiques de régulation. Les accords de Bâle prévoient en effet deux éléments importants de segmentation de l'activité sur le thème du risque : le traitement du risque de crédit entre autres selon une approche différenciée ou de "masse" de la créance (qui dépend de l'encours et donc du type de client) d'une part, et la segmentation par métier qui détermine la consommation de capital au titre du risque opérationnel d'autre part. Ces deux critères comportent un élément de différenciation de clientèles assez net (distinction retail/ commercial banking, etc.) étroitement lié aux profils de rendement/risque distincts de ces activités. Le système de reporting, induit par l'application de l'IAS 14 et qui aboutit naturellement vers la détermination du Raroc et/ou du RoE par métiers, devrait donc s'appuyer sur les accords de Bâle pour exister. Ainsi, deux projets aux visées différentes et lancés dans les années soixante-dix se rejoignent sur l'importance de la segmentation clientèle dans le couple rentabilité/risque. De fait, risque et rentabilité sont par nature liés sur la plupart des marchés. UN TEXTE AMBITIEUX, MAIS COMPLEXE À METTRE EN OEUVRESi le texte comporte un volet induit de corporate governance, l'idée d'adapter l'organisation des entreprises via la réglementation comptable est difficile à admettre. Certes, comptabilité, transparence, investisseurs et donc actionnaires sont intimement liés, mais l'ampleur des évolutions engendrées par une réorganisation des métiers est telle, que le mouvement est difficile à justifier avec un texte à portée comptable ou même de reporting financier ! Le principe de publication de la management view de la norme SFAS 131 pourrait même garantir une meilleure transparence que l'approche IAS 14. Le danger de la norme IAS est en effet de permettre à des entreprises peu scrupuleuses d'élaborer un reporting par segment à destination unique des externes, et de continuer d'autre part à raisonner en interne sur la base d'une segmentation différente. Si la norme IAS 14 impose une correspondance entre reporting interne et externe, l'affaire Enron a démontré que les possibilités de contournement existent, notamment lorsque la garantie de respect de la norme repose sur un seul agent (le commissaire aux comptes)... du moins à court terme ! L'absence de "normalisation" de la segmentation dans le texte de la SFAS est révélatrice de la confiance faite au marché en tant que régulateur : le marché privilégiant les entreprises les mieux organisées (toutes choses égales par ailleurs), une segmentation jugée inadéquate par les investisseurs se traduira par un coût du capital plus élevé pour l'entreprise, une incitation très efficace au mouvement et qui repose sur une multitude de contrôleurs. De même, le contrôle de gestion, outil nécessaire à la production d'états financiers par segment d'activité, n'obéit pas seulement à des préoccupations purement économiques, mais recèle un aspect de management très important. Si une activité apparaît comme destructrice de valeur, il n'est pas toujours productif de le communiquer en interne de manière "brutale" : tableaux de bords commerciaux et reporting IAS ont des finalités clairement différentes. L'ALTERNATIVE AMÉRICAINELa norme SFAS 131, en privilégiant la management view, accroît la transparence de la gestion des entreprises en permettant aux analystes d'avoir une opinion sur la manière dont la direction perçoit l'activité de l'entreprise. L'approche plus normative de la norme IAS 14 impose de manière indirecte au management de s'interroger sur le bien fondé de sa vision de l'activité, au prix toutefois d'une implémentation complexe. L'approche américaine fait confiance au rôle incitatif du marché, tandis que l'IAS Board souhaite guider les entreprises par la réglementation et sur seule base du contrôle externe. Il reste à savoir si un texte comptable peut avoir cette prétention... Si, dans le monde bancaire, les autorités prudentielles jouent largement le rôle d'"aiguillon" en termes de gouvernance, le monde industriel et celui des services non financiers connaissent, avec l'IAS 14, une incitation claire à réfléchir sur l'organisation interne et sur la compréhension de la rentabilité. Article paru dans la Revue Banque n°678 Mars 2006 |