Un vrai problème de contrôle interne

Dans son rapport sur la fraude qui a coûté 4,82 milliards d'euros à la Société Générale, Christine Lagarde appelle notamment à "mieux identifier la lutte contre la fraude interne comme un élément à part entière du contrôle interne". Ce n'était donc pas le cas jusqu'à présent ?

Un vrai problème de contrôle interne


Dans son rapport sur la fraude qui a coûté 4,82 milliards d'euros à la Société Générale, Christine Lagarde appelle notamment à "mieux identifier la lutte contre la fraude interne comme un élément à part entière du contrôle interne". Ce n'était donc pas le cas jusqu'à présent ?

- Oui et non. En effet, la première définition du contrôle interne, élaborée en 1948, était de lutter contre les fraudes et les erreurs. L'objectif était clair: l'affaire du comptable, c'était de lutter contre la fraude.
Ensuite, de 1948 aux années 2000, on a aménagé la définition en y intégrant d'autres choses, la gestion des risques, la bonne information, la lutte contre le blanchiment, le risque de taux, le risque de change... Ces éléments étant mis en avant, on en a parfois un peu oublié le "détail" qu'était la fraude, même si la plupart du temps les banquiers se sont quand même concentrés sur cette notion.

Le rapport pointe aussi les signaux reçus par la banque, notamment les alertes du marché à terme Eurex ou le fait que le trader impliqué ne prenait pas ses jours de congé. Comment analysez-vous l'action du contrôle interne de la Société Générale ?

- En ce qui concerne les alertes, on avait assisté à la même chose au moment de la faillite de la Barings [due à la fraude de 1,3 milliard d'euros du trader Nick Leeson, ndlr], qui avait reçu des signaux d'alarme de la Commission bancaire de Singapour mais ne les avait pas suivis. Il n'y a rien de nouveau.
L'histoire des congés, ensuite, pose effectivement un gros problème, mais ce n'est pas le seul: les contrôles aléatoires ne se font pas de 10 heures à midi et de 14 heures à 20 heures. Dire que le trader a réussi à tous les éviter ne tient pas la route, sauf à penser qu'il dormait à la Générale. Cette affaire révèle un vrai problème de contrôle interne. Pour que le trader suspecté ait pu créer toutes ces opérations fictives, il a dû aller dans le système pour créer des contreparties fictives, ce qui est absolument impossible, sauf à accepter l'idée qu'il disposait de tous les codes. Ensuite, il faut supposer que le back office a confirmé ces contreparties. Franchement, cela paraît complètement irréaliste.
Il y a ensuite l'anomalie du montant des positions, puisqu'il est normalement impossible de prendre des positions aussi importantes. Il y a enfin le problème des limites de perte: normalement, dès que les pertes potentielles dépassent un certain seuil, on lance l'alerte.
On peut accepter que des opérations soient maquillées à hauteur de 10, 20, 30 millions d'euros de positions, même si c'est déjà beaucoup, mais sur 50 milliards… Soit on a affaire à un réseau de complicités, soit le trader était extrêmement doué ou le système de contrôle interne de la Société Générale complètement farfelu. Se pose également le problème des contrôles externes. Les commissaires aux comptes sont aussi là pour donner leur avis sur le contrôle interne: soit c'est eux qui ont donné l'alerte suite à leur mission intermédiaire au deuxième semestre, et leur discrétion est tout à leur honneur, soit cela veut dire qu'ils n'ont rien vu, et que le comité d'audit et la commission bancaire n'ont également rien vu.
En France, c'est la troisième ou quatrième fois qu'une banque est victime de fraude ou menacée de faillite, avec notamment l'affaire du Crédit Lyonnais. Quand, aux Etats-Unis, Arthur Andersen a été impliqué dans l'affaire Enron, les autorités américaines n'ont pas hésiter à frapper fort, et aujourd'hui Andersen n'existe plus. On critique souvent les Etats-Unis, mais la position française sur le sujet n'est pas claire.

Justement, Christine Lagarde préconise dans son rapport de créer au sein des organes sociaux des banques des comités dédiés à la surveillance du contrôle des risques, et d'alourdir les amendes infligées par la Commission bancaire pour fraude. Que pensez-vous de ces conclusions ? Pensez-vous par ailleurs que les hauts dirigeants de la Société Générale doivent démissionner suite à cette fraude ?

- La première proposition n'a aucun intérêt. Créer un nouveau comité de contrôle ne ferait qu'embrouiller les choses: à chaque fois qu'on rajoute un organisme de contrôle, chacun ne contrôle que quelques points en disant que les autres s'occuperont du reste. Alourdir les amendes n'est pas non plus une solution: dans l'affaire actuelle, la Société Générale a déjà perdu 5 milliards d'euros et une partie de sa réputation. La solution est plutôt de renforcer la technicité des contrôleurs actuels en arrêtant de tout théoriser: l'histoire des congés non pris, par exemple, fait partie du b.a.-ba des contrôleurs.
En ce qui concerne les dirigeants de la Société Générale, ils doivent tirer les conclusions de l'affaire en démissionnant, mais pas dans l'immédiat. Il y a le feu à la maison, le plus urgent est de l'éteindre. Vouloir faire partir Daniel Bouton aujourd'hui serait lui faire fuir ses responsabilités.- La première proposition n'a aucun intérêt. Créer un nouveau comité de contrôle ne ferait qu'embrouiller les choses: à chaque fois qu'on rajoute un organisme de contrôle, chacun ne contrôle que quelques points en disant que les autres s'occuperont du reste. Alourdir les amendes n'est pas non plus une solution: dans l'affaire actuelle, la Société Générale a déjà perdu 5 milliards d'euros et une partie de sa réputation. La solution est plutôt de renforcer la technicité des contrôleurs actuels en arrêtant de tout théoriser: l'histoire des congés non pris, par exemple, fait partie du b.a.-ba des contrôleurs.
En ce qui concerne les dirigeants de la Société Générale, ils doivent tirer les conclusions de l'affaire en démissionnant, mais pas dans l'immédiat. Il y a le feu à la maison, le plus urgent est de l'éteindre. Vouloir faire partir Daniel Bouton aujourd'hui serait lui faire fuir ses responsabilités.

Interview de Jean-Luc Siruguet par Jean-Marie Pottier pour le Nouvel Observateur Février 2008